PIERRE
MÉNÈS :
"En
dix mois à Reims, je n'ai rien fait"
03-09-2006
- Pierre
Ménès n'a rien fait à Reims. Rien ? Sauf que
Si, à
l'initiative de Robert Pires, sa route n'avait croisé celle du binôme
Caillot-Harvey en mai 2005, le Stade aurait sûrement filé tout droit
en National quelques semaines plus tard. C'est un élément capital
à mettre à son crédit.
Quelques mois après sa désastreuse
expérience rémoise, Pierre Ménès revient sur son parcours
chaotique au sein de la nébuleuse stadiste.
Mai
2005 : le commando Tiburce
débarque aux Thiolettes
Ladislas
Lozano venait d'être écarté, le Stade de Reims luttait pour
son maintien. Robert Pires s'inquiétait de cette situation. Il s'en est
ouvert à moi lors d'une discussion à Londres, et nous avons décidé
de provoquer une rencontre avec les dirigeants du club. Jean-Pierre Caillot et
Fabrice Harvey, en l'occurrence. J'ai alors vu des gens
qui semblaient avoir perdu espoir.
Il restait quatre matches à
disputer. Reims avait deux points d'avance sur le premier relégable et
devait affronter les trois derniers du classement. Il lui fallait un commando.
J'ai d'abord songé à Gernot Rohr, qui venait d'être limogé
de Nice, mais iI était prisonnier de clauses contractuelles. Je me suis
alors tourné vers Tiburce Darou, en accord avec Robert Pires. Nous l'avons
présenté à Jean-Pierre Caillot et, deux jours plus tard,
il était à Reims.
C'est tout naturellement que je l'ai accompagné
pour suivre son travail. A ce jour, c'est sûrement la meilleure chose que
j'aie faite pour le Stade de Reims.
Revers de la médaille, la pleine
réussite du "commando Tiburce" a rendu difficile ma situation
au sein de la rédaction du groupe L'Equipe, car on a pensé que j'avais
été délégué à Reims par Christophe Chenut.
Juillet
2005 :
Parachuté dans un champ de mines
Séduit
par la réussite de l'opération Tiburce, Jean-Pierre Caillot m'a
offert l'opportunité d'intégrer l'équipe dirigeante du club,
un challenge qui me séduisait particulièrement.
Toutefois, la
situation tendue à L'Equipe a peut-être précipité le
processus de mon arrivée. Cela peut expliquer que Jean-Pierre Caillot m'ait
confié un poste au profil indéfini, et qu'il n'ait pas pris la peine
de présenter clairement en interne les raisons de mon recrutement. Cette
situation m'a valu d'arriver à Reims dans un champ de mines.
J'avais
été nommé "responsable du développement".
Dans mon contrat, il était stipulé que je devais m'occuper des sponsors
au niveau national, de la communication, et participer au recrutement.
J'ai
commencé à travailler le 1er juillet, alors que Jean-Pierre Caillot
était en vacances en Australie. Et là, on a pratiqué avec
moi la politique de la terre brûlée. J'ai senti que j'étais
tout, sauf le bienvenu.
A l'époque, il n'y a que le staff sportif qui
ne m'ait pas fermé les portes. Je me suis donc immédiatement positionné
à ses côtés, non pas en fonction de critères politico-tactiques,
mais parce que c'étaient les seules personnes
qui m'adressaient la parole. Je me souviens d'avoir assisté
seul aux premiers matches de préparation, à Soissons et Vittel.
Dix
mois à prêcher dans le désert
J'ai
lu sur le forum que l'on me reprochait de n'avoir rien fait, et j'avoue que ceux
qui écrivent cela ont raison.
En dix mois je n'ai effectivement rien
fait car, pour faire quelque chose, encore faut-il en avoir le pouvoir. Or, je
n'avais aucun pouvoir. Personne ne dépendait de moi et toutes mes sollicitations
restaient lettre morte.
Le
seul pouvoir que j'avais, c'était de ramener de l'argent au club. Mais,
pour ramener de l'argent au club la saison dernière c'était compliqué.
A niveau sponsoring, le maillot était plein (c'est encore le cas pour cette
saison). Le stade était invendable car il n'y avait pas de retransmission
télé possible en raison des travaux.
Pour couronner le tout,
nous étions dans une année pré-Coupe du Monde, manifestation
sur laquelle les grandes sociétés préféraient évidemment
investir.
Le plus savoureux de cette histoire, c'est que
le jour même où j'ai été limogé par le Stade
j'ai reçu l'accord d'une grande marque américaine
de boissons gazeuses pour sponsoriser le club cette saison. Les négociations
avaient duré de longs mois. Mon départ y a mis un terme définitif.
L'affaire
du centre
de formation
Ce n'était
pas particulièrement dans mes attributions mais, quand j'ai découvert
l'état des Thiolettes et de sa pelouse, je me suis dit qu'il fallait que
l'on trouve un endroit pour construire un centre d'entraînement digne de
ce nom pour les pros et mettre en place un centre de formation.
J'ai trouvé
un terrain de 10 hectares à Warmeriville, engagé des négociations
avec le propriétaire et les collectivités locales, puis trouvé
un investisseur. Il était disposé à mettre quatre millions
d'euros sur la table, en contrepartie d'un pourcentage sur les ventes de joueurs
issus du futur centre de formation.
C'est sur ces bases que les discussions
se sont engagées avec lui. Jean-Pierre Caillot l'a rencontré à
plusieurs reprises, tant à Reims qu'à Paris, et une convention a
été rédigée par des juristes. Tout
cela pour s'apercevoir, au bout de six mois, que cette proposition ne convenait
pas aux actionnaires du club, informés tardivement.
Face
à cette opposition, Jean-Pierre Caillot a mis sèchement un terme
à l'opération, me lançant qu'il n'avait même pas pris
la peine de lire la convention. Du coup, ce travail qui avait occupé six
mois de mon temps a été affecté à ma colonne débit.
Après tous ces mois de discussions "fructueuses", il fut d'ailleurs
un peu savoureux d'expliquer à l'investisseur que ce projet ne convenait
pas au club
Février
2007 - Le résultat un an plus tard...
Le
départ précipité de Sébastien Heitzmann
Pour
mieux apprécier cette affaire, il faut en rappeler précisément
le contexte. Il est notamment très important de partager la saison 2005-2006
en deux.
Il y a tout d'abord les matches aller, où l'équipe est
accablée par les problèmes sur le plan offensif, avec les départs
de M'Phela et Tabet, la rupture des ligaments croisés de Farsanne, les
deux ou trois pépins musculaires de Maspimby, Baléguhé qui
ne participe à aucun match, Boulanger qui est écarté
Du coup, il ne restait plus que Seb Heitzmann devant. Seul !
A l'époque,
quand je défendais les choix tactiques de Thierry Froger, je ne faisais
pas de langue de bois. J'expliquais ma préférence pour le 4-4-2.
Mais encore faut-il avoir les joueurs qui permettent d'évoluer dans ce
schéma. Or, sur les matches aller, je ne vois pas comment l'équipe
aurait pu jouer autrement qu'elle ne l'a fait.
Après,
il y a eu la reprise du championnat en janvier. Et là, tout est différent.
Nous enchaînons deux superbes matches, dont celui de Caen au stade d'Ornano
(1-3) qui reste pour moi le meilleur match de la saison dernière. Puis
l'on bat Châteauroux 3-0.
Je sens alors qu'il y a quelque chose à
faire. L'équipe est en place, Baléguhé, Maspimby sont rétablis,
Lunblad arrive
Nous avons des solutions. Et la
cassure survient au moment où le club décide de vendre Heitzmann.
Sur
l'affaire Heitzmann,
j'ai eu les infos au compte-gouttes. Le patron d'un club peut effectivement agir
comme il l'entend. Mais, je trouve un peu difficile que l'on m'ait demandé
de communiquer sans me donner les tenants et les aboutissants, et qu'on me l'ait
reproché ensuite.
Dans cette affaire, on m'a aussi fait porter le chapeau,
après me l'avoir fait porter un peu plus tôt lors de la mise à
l'écart de Stéphanopoli. A un certain moment, Sébastien
Heitzmann a même cru que j'étais le principal artisan de son départ
du Stade de Reims, alors que je n'en n'avais ni l'envie et encore moins
le pouvoir.
Ce que je sais, c'est que si l'on avait capitalisé sur les
matches de Caen et Châteauroux, nous ne serions peut-être pas montés
en Ligue 1 mais nous n'aurions certainement pas terminé à la 14ème
place.
Le jour où Seb est parti - c'était le dernier jour du
Mercato - jusqu'à 22h30 j'ai essayé en vain de convaincre Thierry
Froger de prendre Yohann Rivière (Guingamp) pour renforcer l'attaque. Noël
Le Graët n'en voulait plus. Aujourd'hui il a resigné à En Avant
et marque régulièrement.
Les
"danseuses" Brésiliennes
Mon
plus gros échec, ce sont les joueurs brésiliens. Je n'ai pas eu
de chance dans cette affaire. J'avais jeté mon dévolu sur un bon
joueur qui s'appelle Daniel Bamberg, un excellent milieu (entre N°10 et milieu
droit) qui évoluait à Fortalesa, en D1 brésilienne. Or, il
s'est déchiré un ligament du genou 15 jours avant la trêve
hivernale.
On a donc fait venir deux jeunes, André et Rubio. Il arrivaient
directement de Salvador de Baya où il faisait 40°, alors qu'à
Reims la température était de moins 6. L'un d'eux a même débarqué
en tongs
Autant dire qu'ils n'avaient aucune chance de s'acclimater en cette
période de l'année.
En revanche, le petit Luiz Pinheiro (dit
" Paquito ") qui est venu, lui aussi, à l'essai, fut probant.
Il évolue d'ailleurs aujourd'hui en D1 suisse à Lucerne. Mais son
profil ne convenait pas, car c'est un joueur à vocation uniquement offensive.
Un
soupir en forme de dernier souffle
En vertu de mes
attributions, j'étais censé participer au recrutement. Quand nous
avons commencé à parler du recrutement pour la saison 2006-2007,
je suis donc venu avec ma petite liste. Mais, au mieux on ne tenait pas compte
des mes propositions, au pire on me riait au nez. Alors, à ce moment là,
j'ai bien compris que c'était la fin. Je commençais à me
demander à quoi je servais.
Par
exemple, entre autres joueurs, je trouvais qu'il aurait été extraordinaire
de faire venir Grégory Proment. Quand j'ai prononcé son nom, on
m'a ri au nez en me disant : "Jamais Proment
ne viendra dans un club de Ligue 2". Comme chacun sait, il
évolue maintenant à Caen
Après, visiblement,
on a cherché à me déstabiliser et à monter Thierry
Froger contre moi. Or, à partir du moment où je perdais le soutien
de Thierry, comme je n'avais pas que des amis dans le club, la situation devenait
invivable.
Pour attiser ces mauvais rapports, on m'a même prêté
une attitude que j'affirme aujourd'hui encore n'avoir jamais eue. C'était
le 7 mars dernier à Delaune, avant le match contre Bastia. J'étais
très malade depuis huit jours et j'avais même dû faire venir
le kiné dans ma chambre juste avant le match. Bref, au coup d'envoi je
me sentais plutôt mal et l'on m'a prêté
un soupir au moment de l'annonce de la composition de l'équipe de Thierry
Froger. Soupir que j'ai certainement poussé, mais qui n'avait
rien à voir avec la composition de l'équipe.
En fait, on cherchait
tout prétexte pour me faire partir. Je ne rapportais pas d'argent, je ne
servais à rien, je dérangeais plutôt que j'arrangeais.
Je
pense que je faisais trop d'ombre. Il y avait un décalage. J'étais
ambitieux pour le Stade. Pas pour moi car, en ce qui me concerne, je n'ai pas
besoin du Stade pour construire ma notoriété. En fait, je voulais
trop et trop vite.
J'étais
certainement beaucoup plus pressé que Jean-Pierre Caillot et Thierry Froger.
Mais je peux toutefois comprendre cette prudence, car je n'ai pas vécu
les années noires du Stade de Reims.
Ses
rapports avec Thierry Froger
J'ai eu d'excellents
moments avec Thierry Froger et je regrette profondément qu'il ait pu croire,
à une période, que j'étais en opposition avec son travail.
C'est vrai que j'ai une préférence pour les entraîneurs plus
offensifs, comme à Lorient. De mon point de vue, Christian Gourcuff est,
avec Claude Puel, le meilleur entraîneur français. Mais ce n'est
pas parce qu'on aime les Ferrari que l'on trouve les BM sans intérêt.
Durant
la première partie de la saison, je trouvais normal que Thierry ne joue
pas l'attaque, car nous n'en avions pas les moyens. Ensuite, c'est vrai que j'ai
regretté le manque d'ambition généralisé après
notre superbe mois de janvier 2006, où je pensais qu'il y avait peut-être
quelque chose à faire dans la suite de la saison.
Les
caisses de champagne d'Estelle
A
Reims j'ai parfois eu l'impression d'être dans un mauvais film de Chabrol.
Des anecdotes, j'en ai dix, vingt, de petites peaux bananes, de petites mesquineries
On a fait croire que je ne payais pas mes notes de champagne, que je ne connaissais
pas Robert Pires, que je voulais être président
Des choses
qui ne me font encore qu'à demi-sourire aujourd'hui.
L'histoire des
caisses de champagne est édifiante. Estelle Denis, ma ravissante collègue
de "100% foot", m'avait demandé de commander du champagne pour
elle et son finaliste de Coupe du Monde de compagnon. Je me suis donc exécuté
et j'ai transmis la facture à Estelle qui a réglé par chèque.
Mais là, petit grain sable dans la logistique, la facture avait été
établie à mon nom et personne n'a fait le rapprochement. Immédiatement
la rumeur a donc couru que je commandais du champagne sans le payer. C'est devenu
une histoire que l'on se racontait au coin du feu.
A
propos d'Estelle Denis et de "100% Foot" je me permets d'ajouter que
j'ai trouvé assez vexant d'avoir un président qui ne regarde jamais
cette émission, au motif qu'elle était diffusée trop tard
et qu'il se levait tôt le lundi.
Reims, c'est très spécial.
Un jour, j'ai même eu l'impression de commettre un adultère parce
que je m'étais assis en tribune aux côtés de Christophe Chenut,
l'Antéchrist, en visite à Delaune.
Mais,
hormis ce climat particulier, il faut reconnaître que le club est bien géré.
Stade
Wars : le retour du Jedi ?
Je n'ai pas contesté le licenciement.
J'avais un CDI assorti d'un avenant au contrat dont le club a respecté
les clauses. En la matière, Olivier Létang a fait preuve de droiture,
respectant tous ses engagements. Il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui la pilule
n'est toujours pas passée. J'étais super bien à Reims.
J'ai
une aptitude infinie au mépris, mais je m'aperçois qu'après
avoir pris des coups de hache, j'ai fini par tomber. Et
à l'arrivée, je peux bien raconter
ce que je veux mais c'est un échec. En tout cas, je le vis comme
un échec.
Est-ce
que je reviendrai un jour à Reims ? Vous avez
titré à mon sujet : "Stade
Wars : le Ménès fantôme". Or, c'est le
deuxième épisode de Star Wars et il y en a encore quatre après.
Ca laisse de la marge
De toute façon, je reviendrai au moins voir
des matches à Reims dans ma petite tribune de presse. En espérant
voir le Stade gagner, car je reste un supporter de l'équipe.
Je n'ai
aucune animosité et, surtout, ceux qui portent le maillot rouge et blanc
sont mes copains. J'espère qu'ils vont aller le plus haut possible. Je
les en crois tout à fait capables en tout cas.
Ce que j'ai le mieux
réussi dans cette année rémoise, ce sont en effet mes rapports
avec les supporters et les joueurs. J'ai développé avec eux une
grande relation de confiance. Il ne se passe pas une
semaine sans que j'aie un ou deux joueurs du club au téléphone.
Quant aux supporters, je pense avoir été très proche d'eux
durant toute la saison. Ils râlaient, ils étaient exigeants mais
ils ont toujours été très gentils avec moi.
Le soir de mon dernier match à Delaune, contre Sedan, ils étaient
une trentaine à m'attendre pour m'applaudir. Ca m'a profondément
touché.
Je
ne suis pas aigri, mais je suis déçu. En effet, il ne faut pas oublier
que j'ai démissionné du groupe L'Equipe pour venir à Reims.
J'ai donc abandonné 21 ans d'ancienneté dans une entreprise florissante,
ce qui correspond tout de même à une somme d'argent assez coquette.
Je n'étais pas venu à Reims pour faire le beau, mais parce que j'avais
envie de vivre le foot de l'intérieur, d'être dirigeant d'un club.
On ne m'en a pas laissé le temps mais, en revanche, j'ai pu voir que ce
n'était pas si compliqué que ça
Depuis
mon départ du Stade, j'ai connu de grandes réussites : la Coupe
du Monde sur M6 qui a très bien marché, ma chronique sur Yahoo
(ndlr : 10,9 millions de pages lues sur le blog de Pierre Ménès
pendant la Coupe du Monde).
Aujourd'hui, je gagne mieux ma vie que lorsque
j'étais à Reims, mais j'aurais préféré, de
loin, rester au Stade.
Propos
recueillis par Michel HAMEL